Le drapeau de Tommy Hilfiger jugé non protégeable par le copyright aux Etats-Unis
Dans une décision du 15 mars 2019, le Review Board du US Copyright Office a estimé que le fameux drapeau de Tommy Hilfiger, reproduit ci-après, n’est pas protégeable par le copyright aux États-Unis. L’office américain rappelle qu’une combinaison d’éléments connus est protégeable à condition d’être originale. Il souligne ensuite que l’intention de l’auteur est indifférente. Enfin, il ajoute l’exigence d’une créativité suffisante. La motivation retenue par l’Office américain est particulièrement intéressante. Pas de copyright pour le drapeau Tommy Hilfiger : notre analyse comparée avec le droit d’auteur français.
Protection du drapeau Tommy Hilfiger par le copyright : détails de l’affaire
Représentation du drapeau, objet du litige :
Lien vers la décision du US Copyright Office rendue le 15 mars 2019.
1. Une combinaison d’éléments connus est protégeable à la condition toutefois d’être originale
Position de l’US Copyright Office
En premier lieu, l’Office américain relève qu’une combinaison d’éléments connus peut être protégeable, mais à la condition d’être elle-même originale :
« some combinations of common or standard design elements may contain sufficient creativity with respect to how they are juxtaposed or arranged to support a copyright. Nevertheless, not every combination or arrangement will be sufficient to meet this test ».
(Ladite décision, p. 4)
Pour justifier sa position, l’Office américain cite une décision rendue dans l’affaire SATAVA à propos d’une sculpture contenant la représentation d’une méduse dans un vase :
« It is true, of course, that a combination of unprotectable elements may qualify for copyright protection. But it is not true that any combination of unprotectable elements automatically qualifies for copyright protection. Our case law suggests, and we hold today, that a combination of unprotectable elements is eligible for copyright protection only if those elements are numerous enough and their selection and arrangement original enough that their combination constitutes an original work of authorship ».
(SATAVA v. LOWRY, 323 F.3d 805 (9th Cir. 2003))
Cette solution n’a rien de surprenant du point de vue du droit français. La Cour de cassation rappelle en effet constamment qu’une combinaison d’éléments connus peut être protégeable par le droit d’auteur.
Jurisprudence française
Dans un arrêt du 30 septembre 2015, la Cour de cassation soulignait ainsi que l’originalité de l’œuvre revendiquée :
« doit être appréciée dans son ensemble au regard des différents éléments, fussent-ils connus, qui la composent, pris en leur combinaison ».
(Cass., civ. 1, 30 septembre 2015, pourvoi 14-11.944 ; cf. également : Cass., civ. 1, 7 mars 2018, pourvoi 17-11.905 ; Cass, crim., 20 mars 2018, pourvoi 16-84.564).
Encore récemment, dans un arrêt du 24 octobre 2018, la Cour de cassation a jugé qu’un modèle d’assiette était protégeable par le droit d’auteur au motif que
« si chacun des éléments de la combinaison revendiquée par la société Établissements Coquet était connu de longue date, en revanche, la combinaison de ceux-ci ne l’était pas et conférait aux modèles d’assiettes et de soucoupes de la gamme “Hémisphère”, un aspect d’ensemble traduisant un effort créatif porteur de leur originalité ».
(Cass., civ. 1, 24 octobre 2018, pourvoi n° 16-23214).
Si une combinaison d’éléments connus peut être protégée par le droit d’auteur en France, c’est toutefois à la condition d’être originale, comme le rappelle de manière tout aussi constante la jurisprudence française. Ainsi, lorsque la combinaison d’éléments connus est nouvelle, mais ne révèle pas un effort créatif conférant à l’ensemble une originalité, ladite combinaison n’est pas protégeable par le droit d’auteur en France (Cass., civ. 1, 20 mars 2014, pourvoi 12-18.518).
Sur ce premier point, le droit français semble donc assez proche du droit américain, sur le plan des principes à tout le moins.
2. L’intention de l’auteur est indifférente pour apprécier l’originalité de l’œuvre
Appréciation de l’US Copyright Office
Il semblerait que les couleurs blanche et rouge dans la partie centrale du logo aient été empruntées au drapeau « H » du Code international des signaux qui, pris isolément, signifie « J’ai un pilote à bord ». Mais cet élément fait référence ici au « H » de « Hilfinger » (Voir les explications du blog Another Magazine).
Pourtant, l’Office américain souligne que l’intention de l’auteur est indifférente et que l’originalité s’apprécie objectivement (ladite décision, pp. 5-6 : « Equally irrelevant is the intent of the author »).
Cette position est conforme aux principes généralement appliqués par l’Office américain et auxquels il se réfère d’ailleurs dans sa décision :
« When examining a work for original authorship, the U.S. Copyright Office will not consider the author’s inspiration for the work, creative intent, or intended meaning. Instead, the Office will focus solely on the appearance or sound of the work that has been submitted for registration to determine whether it is original and creative within the meaning of the statute and the relevant case law. The fact that a creative thought may take place in the mind of the person who created a work […] has no bearing on the issue of originality unless the work objectively demonstrates original authorship. Mental processes do not themselves provide an objective basis for evaluating creativity ».
(U.S. COPYRIGHT OFFICE, COMPENDIUM OF U.S. COPYRIGHT OFFICE PRACTICES § 310.5 (3d ed. 2017))
Ce principe avait déjà été rappelé en 2018 par l’Office américain à propos du symbole de la compagnie aérienne American Airlines (décision du 7 décembre 2018).
Analyse comparée avec le droit français
Sur ce point, la jurisprudence française affirme parfois le contraire.
Depuis quelques années, un courant jurisprudentiel tend en effet, en France, à rejeter la protection par le droit d’auteur lorsque le demandeur à l’action se contente de décrire de manière objective son œuvre pour en démontrer son originalité (cf. par exemple : sous TGI Paris, 3e ch. 4e sect., 21 sept. 2017, RG n° 16/06298, SAS Iro c/ IKKS Retail et autres ; TGI Paris, 3e ch. 4e sect., 24 mai 2018, RG n° 14/14890, Sarl ASHWI c/ Sarl Flam Mode).
Or, comme nous avons déjà eu l’occasion de le souligner, cette jurisprudence nous paraît très critiquable dans la mesure où l’exigence d’une description subjective de l’œuvre ainsi que la recherche de l’intention des auteurs est une tâche extrêmement difficile et parfois même impossible (cf. nos comm. sous TGI Paris, 3e ch. 4e sect., 21 sept. 2017, RG n° 16/06298, SAS Iro c/ IKKS Retail et autres : Prop. Intell., avr. 2018, et sous TGI Paris, 3e ch. 4e sect., 24 mai 2018, RG n° 14/14890, Sarl ASHWI c/ Sarl Flam Mode, Prop. Intell., avr. 2019).
Sur ce point, la position retenue par l’Office américain nous paraît plus judicieuse et au demeurant plus proche de celle retenue par la Cour de justice de l’Union européenne dans son arrêt Painer qui exige uniquement de démontrer l’existence de « choix libres et créatifs » (CJUE, 1er déc. 2011, aff. C-145/10, Eva-Maria Painer, points 88 et 89 ; dans le même sens pour une photographie de paysage : CJUE, 7 août 2018, aff. C-161/17, Renckhoff, point 14 ; et plus récemment encore : CJUE, 29 juillet 2019, C‑469/17, Funke Medien NRW GmbH).
La jurisprudence française applique d’ailleurs parfois aussi ce critère plus objectif et plus favorable, à notre sens, à la sécurité juridique :
« L’originalité d’une œuvre s’entend de ce qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur, qui s’exprime par les choix libres et créatifs de celui-ci ».
(CA Paris, pôle 5-2, 30 mars 2018, RG n° 17/04929 ; v. également CA Versailles, 1re ch. 1re sect., 26 janv. 2018, RG n° 16/02894 et TGI Paris, 3e ch. 2e sect., 6 juin 2018, RG n° 15/14661)
3. L’exigence d’une créativité suffisante
Décision de l’US Copyright Office
Enfin, l’Office américain affirme, dans sa décision Tommy Hilfiger, qu’il faut démontrer une créativité « suffisante » pour que l’œuvre revendiquée puisse être protégée par le copyright aux États-Unis :
« the term “original” consists of two components: independent creation and sufficient creativity (…) Second, the work must possess sufficient creativity. Id. Only a modicum of creativity is necessary, but the Supreme Court has ruled that some works (such as the alphabetized telephone directory at issue in Feist) fail to meet even this low threshold. Id. The Court observed that “[a]s a constitutional matter, copyright protects only those constituent elements of a work that possess more than a de minimis quantum of creativity.” Id.at 363. It further found that there can be no copyright in a work in which “the creative spark is utterly lacking or so trivial as to be virtually nonexistent.” Id. at 359. »
Notre analyse de droit comparé
Cette motivation est également très intéressante pour un juriste français. Nous avons d’ailleurs publié un article sur l’étincelle créative et le seul d’originalité requis aux États-Unis.
En effet, il est parfois affirmé en France qu’il n’existe pas de seuil d’originalité exigé pour qu’une œuvre soit protégeable par le droit d’auteur. Les œuvres de l’esprit étant protégées quel que soit leur genre ou leur mérite, il est généralement admis que dès qu’une œuvre est originale, elle doit être jugée protégeable, quand bien même son originalité serait faible.
Comme nous avons déjà eu l’occasion de le souligner, cette présentation occulte une partie de la réalité judiciaire dès lors que toute conception de l’originalité implique un certain degré de créativité en dessous duquel les œuvres ne sont pas jugées originales. Pour affirmer qu’une œuvre est originale ou ne l’est pas, il faut nécessairement définir au préalable le seuil à partir duquel elle devient originale. Et pour cela, il faut déterminer quel niveau de créativité est exigé (cf. à cet égard : M. Buydens, G. Brox, P. Massot, R. Roser et F. Rossi, L’originalité des œuvres des arts appliqués en Europe : vers une harmonisation ?, Revue Propriétés Intellectuelles n° 63, avril 2017).
En pratique, les juges français fixent ainsi également un seuil de créativité à partir duquel ils estiment qu’une œuvre est suffisamment originale pour être protégée par le droit d’auteur. Au sein de l’UE, ce seuil est en principe assez bas, mais il existe (ibid). Il faut donc démontrer que l’auteur a fait des choix créatifs suffisants pour obtenir une protection par le droit d’auteur.
Seulement, la position retenue par l’Office américain a, selon nous, le mérite de la clarté : en reconnaissant qu’il existe un seuil de créativité minimum exigé pour qu’une œuvre soit protégée par le droit d’auteur, l’Office américain affiche clairement le principe applicable et permet de mieux en contrôler l’application. En effet, dès lors qu’un seuil est expressément appliqué, l’attention est immédiatement attirée sur la hauteur du seuil fixé.
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