8 novembre 2023

Plagiat, contrefaçon, inspiration et coïncidence fortuite en matière musicale : où est la limite ?

Katy Perry Dark Horse, Robin Thike et Pharell Williams Blurred Lines, Led Zeppelin Stairway to Heaven, Ed Sheeran Shape of You : ces dernières années, des affaires retentissantes de plagiat secouent l’industrie musicale. En France, l’affaire Calogero Si seulement je pouvais lui manquer a également défié la chronique. Des questions se posent de part et d’autre de l’Atlantique avec d’autant plus d’acuité que les créations musicales sont, volontairement ou non, inscrites dans un fonds commun musical. Quelle est la frontière entre l’inspiration et le plagiat ? La contrefaçon peut-elle être retenue en cas de reprise d’une simple ligne musicale ? La coïncidence fortuite permet-elle de s’exonérer de toute contrefaçon ? Musique, plagiat et contrefaçon : où se trouve la limite avec l’inspiration et la coïncidence fortuite ? Décryptage de ces jurisprudences :

Affaires de plagiat aux États-Unis : les enjeux

Les juridictions américaines ont condamné de célèbres chanteurs, auteurs et producteurs à des millions de dollars de dommages et intérêts pour contrefaçon de droits d’auteur. Certaines décisions ont été révoquées en appel, mais pas toutes.

L’affaire Katy Perry, dans laquelle la célèbre chanteuse avait été condamnée en 2019 à payer, avec ses coauteurs, ses producteurs et son label Capitol Records, 2,78 millions de dollars pour contrefaçon de droits d’auteur, avant de finalement gagner son procès, invite à revenir sur les frontières de la contrefaçon en matière musicale.

Et ce d’autant qu’elle s’inscrit dans une suite d’affaires qui ont eu un retentissement important aux États-Unis. La Cour d’appel fédérale du 9e circuit à San Francisco puis la Cour Suprême des États-Unis ont aussi été saisies du litige portant sur la chanson Stairway to Heaven de Led Zeppelin.

Certains compositeurs et juristes spécialisés en propriété intellectuelle considèrent même que certaines affaires de contrefaçon pénalisent la composition en permettant l’appropriation d’éléments musicaux génériques, comme les rythmes et l’émotion (« feel ») qui peut se dégager d’une chanson (Ben Sisario, Katy Perry Loses Copyright Battle Over ‘Dark Horse’, New-York Times, 29 juillet 2019).

Les enjeux financiers peuvent également être considérables, en particulier aux États-Unis, comme le démontre notamment l’affaire Blurred Lines de Robin Thicke et Pharell Williams.

Affaire Katy Perry Dark Horse c. Flame Joyful Noise : coïncidence fortuite

Première instance : Katy Perry condamnée pour contrefaçon de droit d’auteur

Le 29 juillet 2019, un jury du Tribunal fédéral de Los Angeles avait reconnu la chanteuse Katy Perry, ses coauteurs, ses producteurs, ainsi que son label Capitol Records, coupables d’atteinte au droit d’auteur de Monsieur Marcus Gray, rappeur chrétien connu par certains sous le pseudonyme « Flame » (Nancy Coleman, Katy Perry’s Copyright Case May Sound Familiar to These Stars, New-York Times, 31 juillet 2019).

Le jury avait considéré que la chanson Dark Horse, sortie par Katy Perry en 2013, copiait la partie instrumentale de la chanson Joyful Noise de Flame sortie en 2008 (pour écouter les deux chansons, cf. l’article de Ben Sisario du New-York Times Katy Perry Loses Copyright Battle Over ‘Dark Horse’).

Pour tenter d’échapper au grief de contrefaçon, Katy Perry et son producteur Dr Luke avaient notamment déclaré qu’ils n’avaient jamais entendu Joyful Noise. Leurs avocats ont également fait valoir que les deux chansons en cause n’avaient en commun que des motifs musicaux basiques non protégeables par le droit d’auteur.

Marcus Gray soutenait en revanche que si Joyful Noise était une chanson destinée à un marché de niche, elle avait rencontré suffisamment de succès – elle apparaissait sur un album nominé aux Grammys Awards pour le meilleur album rock ou rap gospel – pour que Katy Perry et son équipe aient pu l’entendre et que la chanson Dark Horse reprenait une formule rythmique et mélodique répétitive – appelée ostinato – similaire à celle de Joyful Noise (Martin MACIAS JR, Katy Perry Copyright Infringement Trial Wraps Up, 25 juillet 2019).

Les neuf membres du jury ont tranché en faveur du demandeur, en considérant que Katy Perry avait porté atteinte aux droits d’auteur de Marcus Gray (cf. article précité Katy Perry Loses Copyright Battle Over ‘Dark Horse’).

S’agissant du préjudice, le rappeur invoquait d’une certaine manière une atteinte à son droit moral. Il affirmait en effet que sa réputation d’artiste de gospel chrétien était ternie par l’imagerie antichrétienne et le paganisme évoqués par Dark Horse, plus particulièrement dans sa vidéo (cf. article précité Katy Perry Loses Copyright Battle Over ‘Dark Horse’).

Le jury a quant à lui considéré que 22,5 % des bénéfices réalisés par Dark Horse étaient attribuables à des parties de Joyful Noise. Les défendeurs avaient ainsi été condamnés à verser à Monsieur Gray la somme totale de 2,78 millions de dollars, dont 550 000 dollars à la charge de la chanteuse.

Au-delà de ce verdict, se posait de manière plus générale la question de savoir à partir de quel degré de similitudes la contrefaçon est caractérisée ou même si toutes sortes de similitudes peuvent déclencher cette qualification.

D’aucuns craignaient à cet égard qu’une interprétation trop large de la notion de contrefaçon pourrait créer un effet de « trolling » comme en matière de brevets (Paul Resnikoff, Head-Scratching Continues Following the Katy Perry Verdict — Does the Music Business Have a Copyright Trolling Problem?, www.digitalmusicnews.com, 30 juillet 2019).

2e instance : la Cour d’appel fédérale infirme le 1er jugement

Insatisfaite de ce lourd verdict, Katy Perry avait décidé de faire appel et son avocate, Christine Lepera, a fait la déclaration suivante :

« The writers of Dark Horse view the verdicts as a travesty of justice. There is no infringement. There was no access of substantial similarity. The only thing in common is an unprotectable expression — evenly spaced ‘C’ and ‘B’ notes — repeated. People including musicologists from all over are expressing their dismay over this.

We will continue to fight at all appropriate levels to rectify the injustice. »

(Paul Resnikoff, Katy Perry’s Attorneys to Appeal the $2.78 MM ‘Dark Horse’ Verdict — ‘There Is No Infringement’, www.digitalmusicnews.com, 5 août 2019).

Après près de sept années de procès, le 10 mars 2022 la Cour d’appel fédérale du 9e circuit a finalement donné raison à Katy Perry et débouté Marcus Gray de son action pour plagiat.

Les juges fédéraux ont en effet estimé que :

« la partie de l’ostinato de Joyful Noise qui chevauche l’ostinato de Dark Horse consiste en un arrangement manifestement conventionnel de blocs de construction musicaux. »

Au-delà de cet aspect technique, le verdict rendu public se fonde sur les lourdes conséquences qu’aurait pu avoir une décision reconnaissant le plagiat. En effet :

« autoriser un droit d’auteur sur ce matériel reviendrait essentiellement à autoriser un monopole inapproprié sur les séquences de hauteurs à deux notes ».

À l’instar de la décision concernant Stairway to Heaven, cette décision en faveur de Katty Perry sera probablement largement citée dans les futures affaires de droit d’auteur concernant la musique.

Affaire Robin Thicke et Pharell Williams Blurred Lines c. Marvin Gaye Got to Give Up : confirmation de plagiat

Cette affaire en rappelle une autre, encore plus médiatisée, dans laquelle la chanson Blurred Lines du chanteur Robin Thicke et du producteur à succès Pharell Williams a été considérée comme une copie de la chanson Got to Give It Up sortie en mars 1977 par la légende de la Soul music Marvin Gaye.

1ère instance

En 2015, Robin Thicke et Pharrell Williams ont été condamnés à verser pas moins de 7,3 millions de dollars aux ayant droits de Marvin Gaye, somme ramenée par la suite à 5,3 millions de dollars. C’est l’une des plus importantes condamnations prononcées dans ce domaine. Cette condamnation a été confirmée par la Cour d’appel fédérale du 9e circuit.

Got to Give It Up étant une chanson bien connue du catalogue de Marvin Gaye, le succès mondial de Blurred Lines de Robin Thicke ne pouvait manifestement laisser les ayants droit de Marvin Gaye sans réaction. Ils ont invoqué des similitudes entre les parties instrumentales des deux chansons, que le jury a d’ailleurs considérées comme évidentes (Nancy Coleman, Katy Perry’s Copyright Case May Sound Familiar to These Stars, New-York Times, 31 juillet 2019).

Appel

Connaissance de l’œuvre première

Dans l’arrêt d’appel, la Cour a rappelé que la chanson Got To Give It Up, avec son rythme et mélodie disco funk, était numéro 1 du classement américain (Billboard Hot 100) en 1977 et qu’elle est toujours populaire aujourd’hui, ce qui est indéniable. À cet égard, les défendeurs admettaient s’être inspirés de Marvin Gave et avoir eu accès à la chanson Got To Give It Up (ladite décision, pp. 9-13).

La Cour a également relevé que la chanson Blurred Lines était le single le plus vendu au monde en 2013 (ladite décision, pp. 9-10).

Il y avait toutefois un débat entre les experts pour déterminer les similitudes et savoir si elles étaient ou non substantielles.

Analyse des similitudes entre les deux chansons

La musicologue Judith Finell, experte des ayants droit de Marvin Gaye, estimait qu’il existait une constellation de huit similitudes : la phrase signature, les « hooks », les « hooks » avec des chœurs, un thème X (quatre notes répétées dans les chœurs), les « hooks » de fond, des mélodies de basse, des parties de clavier et des choix inhabituels de percussions (ladite décision, p. 12).

Le Dr Ingrid Monson, professeur de musique afro-américaine à l’Université de Harvard et également experte des ayants droit de Marvin Gaye, avait quant à elle fait trois « mash-ups » pour montrer la compatibilité mélodique et harmonique des deux chansons. Elle en déduisait que ces deux chansons présentaient des similitudes structurelles, notamment au niveau des phrases musicales (ladite décision, p. 13).

En revanche, la musicologue Sandy Wilbur, experte de Thicke et Williams, affirmait qu’il n’existait pas de similitudes substantielles entre les mélodies, rythmes, harmonies, structures et paroles (ladite décision, p. 12).

Décision de la Cour

Sur le plan juridique, la Cour en a déduit que, dans la mesure où Williams et Thicke reconnaissaient avoir eu accès à l’œuvre première, la charge de la preuve des similitudes devait être allégée (ladite décision, p. 16).

La Cour a également estimé que la liberté musicale était grande et que, par conséquent, la chanson Got To Give It Up bénéficiait d’un champ de protection large et qu’il n’était pas nécessaire de démontrer une quasi-identité des chansons pour conclure à une contrefaçon (ladite décision, pp. 19-20).

De plus, selon la Cour, dès lors que la preuve directe d’un acte de copie est difficile à rapporter, il est habituel de la démontrer par un faisceau d’indices comprenant l’accès à l’œuvre première et l’existence de similitudes substantielles. Il était donc suffisant selon la Cour de relever que Thicke et Williams avaient copié inconsciemment la chanson Got To Give It Up pour retenir la contrefaçon (ladite décision, p. 25).

Par ailleurs, la Cour a estimé dans la limite de son pouvoir juridictionnel, que la décision du jury ne pouvait pas être critiquée utilement au cas présent, dans la mesure où il existait des éléments attestant de multiples similitudes, s’agissant notamment des phrases signature, des hooks, de la mélodie de basse, etc. (ladite décision, p. 35).

Enfin, s’agissant des dommages et intérêts, la Cour a également estimé que les dommages et intérêts alloués en première instance, au titre du préjudice et de la restitution des bénéfices, n’étaient pas fondés sur des raisonnements hypothétiques, mais sur des usages du secteur (ladite décision, pp. 35-39).

Analyse de la décision

Cette décision a suscité des interrogations et critiques dans la mesure où Blurred Lines ne constituait pas une copie servile de Got to Give It Up.

D’ailleurs, elle n’a pas été rendue à l’unanimité. L’un des trois juges, Mme Jacqueline NGUYEN, a rédigé une opinion dissidente très critique, estimant qu’il y aurait un manque de similitude d’ensemble et que cette décision risquerait d’entraver la créativité en matière musicale.

D’aucuns craignent en effet que cette décision ne déclenche une avalanche de procès et réclamations dès qu’un nouveau morceau présentera certaines similitudes avec une œuvre antérieure. C’est notamment ce qu’affirmait Ed McPherson, avocat à l’origine d’une protestation émise par un groupe d’artistes (What Marvin Gaye’s Attorney Thinks About the ‘Blurred Lines’ Copyright Verdict).

Certes, les condamnations prononcées sont importantes, toutefois, elles s’expliquent aussi par les revenus générés par les œuvres litigieuses. Par ailleurs, il faut sans doute éviter les généralisations sur la prétendue entrave à la liberté de création, les juridictions américaines ne retenant pas systématiquement la contrefaçon en cas de similitudes partielles. C’est ce qu’ont montré, jusqu’à présent, les affaires Katy Perry et Led Zeppelin.

Affaire Led Zepplin Stairway to heaven c. Randy California et Spirit Taurus : contrefaçon écartée

Les faits et la procédure

En 2014, les membres du groupe légendaire de rock Led Zepplin, Jimmy Page et Robert Plant, ont été poursuivis pour contrefaçon de droits d’auteur par les ayants droit de Randy California. Ces derniers considéraient que la chanson Stairway To Heaven, sortie en 1971, constituait une copie de la chanson Taurus composée par Randy California et interprétée par le groupe Spirit en 1968.

Toutefois, en 2016, un jury fédéral a écarté la contrefaçon de droit d’auteur, estimant que si Jimmy Page et Robert Plant avaient eu accès à l’œuvre antérieure, les deux chansons ne présentaient pas suffisamment de similitudes (Noah Gilbert and Ben Sisario, Led Zeppelin Did Not Steal ‘Stairway to Heaven,’ Jury Says, New-York Times, 23 juin 2016).

L’affaire n’était pourtant pas terminée, un appel ayant été formé devant la Cour d’appel fédérale du 9e circuit (Ben Sisario, Original or Copied? ‘Stairway to Heaven’ Is Back in Court, New-York Times, 22 septembre 2019).

L’intervention de l’État fédéral américain

Fait rare, l’État fédéral américain est même intervenu dans cette affaire pour donner son opinion sur les principes à appliquer en matière de contrefaçon musicale, relevant que le droit d’auteur ne devrait pas en principe protéger des éléments trop basiques, pour ne pas brider la création (Tweet de Mme Regan Smith General Counsel @copyrightoffice du 16 août 2019).

C’est dire l’importance et les enjeux que représentaient les questions posées par cette affaire pour toute l’industrie musicale !

Le gouvernement américain rappelle ainsi que pour être protégeable par le droit d’auteur, une œuvre, ou une partie d’œuvre, doit être originale et avoir ainsi un degré minimum de créativité :

« In the musical context, this means that standard elements such as arpeggios (i.e., notes of a chord played in sequence) or chromatic scales can never be independently protectable under copyright law […] Further, certain short musical phrases, even if novel, may not “possess more than a de minimis quantum of creativity” and thus may not be eligible for copyright protection ».

(Brief for the United States as amicus curiae in support of appellees, p. 20).

Il ajoute que si des arrangements musicaux peuvent être protégeables par le droit d’auteur, cela ne donne pas pour autant de droits sur les éléments basiques qui les composent (idem, pp. 21).

Ainsi, pour le gouvernement américain, au regard des faits de l’espèce, le jugement de première instance mériterait confirmation.

Une condamnation de Led Zepplin aurait assurément fait grand bruit sur la scène rock et au-delà.

Les décisions de la cour d’appel et de la Cour suprême

En mars 2020, la Cour d’appel fédérale du 9e circuit à San Francisco a rejeté les arguments du demandeur et confirmé la décision du jury fédéral, estimant que Led Zepplin n’avait pas contrefait les droits d’auteur de Randy California.

Puis, en octobre 2020, la Cour Suprême des États-Unis a refusé de se saisir de l’affaire, rendant définitif le jugement d’appel et mettant ainsi fin à cette saga judiciaire.

Affaire The Weeknd Call Out My Name c. Eppiker Vibeking : règlement amiable

Accusé de plagiat s’agissant de son titre Call Out My Name, The Weeknd a réussi à trouver un accord avec les plaignants, membres du duo de musique électro Eppiker.

Ici, en plus des tempos similaires, les avocats des plaignants se fondaient sur l’existence d’une mesure commune plutôt rare dans la musique populaire (mesure en 6/8).

Enfin, l’existence de la preuve de la connaissance du titre par le compositeur du hit, non déniée par le chanteur, a été avancée.

Affaire Ed Sheeran Shape of You c. Sami Chokri et Ross O’Donoghue Oh Why : coïncidence fortuite

Le 6 avril 2022, le chanteur et auteur-compositeur Ed Sheeran remportait sa première bataille judiciaire devant la Haute Cour de Londres.

Accusé d’être un plagiat de leur œuvre par deux musiciens, Sami Chokri et Ross O’Donoghue, le mega hit Shape of You n’est pas reconnu comme tel par les juges britanniques.

Ces derniers ont considéré qu’Ed Sheeran n’avait pas copié, tant de manière délibérée qu’inconsciente, la mélodie de leur chanson Oh Why.

Ainsi, en plus d’importantes différences, les juges ont relevé que si des similarités existaient entre les deux chansons, c’était surtout en raison d’une mélodie proche que l’on retrouve dans d’innombrables chansons de la pop, rock, folk et blues.

Affaire Ed Sheeran Thinking Out Loud c. Marvin Gaye Let’s Get It On : inspiration non fautive

Le 4 mai 2023, Ed Sheeran remportait sa seconde (et dernière ?) bataille judiciaire devant, cette fois, les juges fédéraux new-yorkais.

Poursuivi pour le plagiat de la chanson Let’s Get It On de Marvin Gays dans sa chanson Thinking Out Loud, le jury a estimé que l’artiste avait créé sa chanson de « manière indépendante », rejetant par conséquent la qualification de « copie partielle ».

Selon les juges fédéraux :

« Le droit d’auteur doit trouver le juste équilibre entre la protection contre la copie et la possibilité pour les créateurs de s’inspirer d’œuvres antérieures ».

Dans cette affaire, s’il a été jugé que certaines parties des deux tubes étaient effectivement similaires, lesdites parties n’étaient pas protégées par le droit d’auteur et pouvaient dès lors être utilisées par tous.

Cette décision sera certainement un argument de poids dans les futurs litiges, en raison de la popularité non pas uniquement de l’œuvre attaquée, mais aussi de l’œuvre prétendument plagiée.

Affaire Dua Lippa Levitating c. Artikal Sound System Life Your Life : contrefaçon écartée

Poursuivie par le groupe de reggae Artikal Sound System, qui affirmait que sa chanson Levitating plagiait leur titre Life Your Life, Dua Lipa a gagné son procès en juin 2023. Le verdict rendu par les juges californiens a écarté la qualification de plagiat.

Le groupe arguait notamment que leur chanson avait joui d’un tel succès, que les compositeurs du titre Levitating l’avaient nécessairement entendu. Argument jugé « trop générique ou trop peu substantiel » pour la cour.

Mais Dua Lippa a de nouveau rendez-vous devant les juges, cette fois à New York.

Elle est poursuivie par deux auteurs-compositeurs, toujours pour son titre Levitating. La décision n’a pas encore été rendue.

Musique et plagiat : interrogations et prospective

Au regard de cette succession d’affaires retentissantes, en 2019 le Professeur Edward Lee de l’Université de Chicago-Kent considérait que cette « tempête d’actions judiciaires » était troublante et se demandait si nous assistions à une épidémie de plagiat par des artistes majeurs de la scène musicale.

Il considérait à cet égard que l’exception du « fair use » pourrait devenir un moyen de défense attractif dans les litiges de contrefaçon d’œuvres musicales, notamment dans des affaires comme celle de Katy Perry dans lesquelles le jury avait d’abord rejeté la défense fondée sur l’argument de l’ignorance de l’œuvre première (« I never heard it defense »).

Le Professeur Lee se demandait ainsi quelle aurait pu être l’issue de l’affaire Katy Perry si la chanteuse avait invoqué le « fair use » pour démontrer que sa chanson Dark Horse modifiait la partie instrumentale de Joyful Noise et lui donnait une nouvelle expression et un nouveau caractère, faisant d’une chanson religieuse une chanson romantique.

Toutefois, le Professeur Lee reconnaissait que si la Cour suprême avait admis l’exception du « fair use » en matière de parodie de chansons dans une affaire de 1994 concernant une parodie de la chanson Oh Pretty Woman de Roy Orbison, les juridictions américaines devaient encore déterminer ce qui constitue un « fair use » dans l’emprunt d’éléments d’une œuvre musicale au-delà des cas de parodie (Edward Lee, How Katy Perry could have won the ‘Dark Horse’ lawsuit, The Washington Post, 2 août 2019).

L’affaire Katy Perry démontre que les défendeurs ont continué d’invoquer l’ignorance de l’œuvre première. Mais c’est finalement l’absence de protection par le droit d’auteur des éléments similaires entre les deux chansons qui a conduit la cour d’appel à écarter la contrefaçon. Pas de notion de « fair use » dans les débats.

La question a pu se poser également en France.

Affaire Calogero Si seulement je pouvais lui manquer c. Laurent Feriol Les chansons d’artistes : plagiat confirmé

Le 26 juin 2015, la Cour d’appel de Paris a condamné le chanteur Calogero à payer une somme de près de 60 000 euros pour contrefaçon partielle de droits d’auteur au motif que sa chanson Si seulement je pouvais lui manquer présentait des similitudes avec la chanson intitulée Les chansons d’artistes composée par Laurent Feriol.

Dans cette affaire, Calogero invoquait notamment l’impossibilité dans laquelle il s’est trouvé de connaître l’œuvre première.

Il s’agit d’un moyen de défense souvent invoqué dans des affaires de contrefaçon de droit d’auteur devant les juridictions françaises. En effet :

« Il est parfois plus judicieux, en défense, de se prévaloir de l’exception dite de « rencontre fortuite » ou l’exception dite des « réminiscences issues de sources d’inspirations communes », qui permet d’écarter le grief de la contrefaçon sans avoir à contester l’originalité de l’œuvre prétendument contrefaite ».

(A. Fiévée, « Juridique – Contrefaçon d’une chanson : quel est l’argument clé en défense ? », Juris art etc. 2017, n° 42, p.46).

Cette exception a été consacrée par la Cour de cassation dans son arrêt du 12 décembre 2000. Dans cette affaire, Guy Béart était accusé d’avoir repris le thème de l’œuvre Jérusalem Stones de Guy Boyer. Pour écarter la contrefaçon, la Cour de cassation avait alors estimé que « les ressemblances entre ces deux œuvres provenaient de rencontres fortuites ou de réminiscences résultant notamment de leur source d’inspiration commune» (Cass. civ. 1re, 12 décembre 2000, n° 98-15228).

Dans l’affaire Calogero, la Cour d’appel n’a pas retenu cet argument et a relevé que le demandeur établissait que son œuvre avait donné lieu à des représentations publiques et qu’elle avait été soumise aux milieux professionnels et notamment à la société Universal Music, en sorte que sa divulgation était certaine. Ce raisonnement est assez proche du raisonnement suivi par le jury en première instance dans l’affaire Katy Perry.

La Cour d’appel de Paris a ainsi estimé que Calogero n’établissait pas l’impossibilité dans laquelle il se serait trouvé d’avoir eu accès à la chanson Les chansons d’artistes et que les œuvres en présence ne procédaient pas de réminiscences communes.

Calogero et son label ont formé un pourvoi en cassation, en soutenant notamment que l’exception de rencontre fortuite invoquée par le défendeur à l’action en contrefaçon doit être accueillie lorsque l’œuvre première en date n’a pas fait l’objet d’une divulgation certaine.

La Cour de cassation n’a pas accueilli ce moyen et a validé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris aux motifs que :

« Il incombe à celui qui, poursuivi en contrefaçon, soutient que les similitudes constatées entre l’oeuvre dont il déclare être l’auteur et celle qui lui est opposée, procèdent d’une rencontre fortuite ou de réminiscences issues d’une source d’inspiration commune, d’en justifier par la production de tous éléments utiles. »

En l’espèce, l’auteur de l’œuvre première « établissait que son œuvre avait donné lieu à des représentations publiques et qu’elle avait été soumise aux milieux professionnels et notamment à la société Universal Music, en sorte que sa divulgation était certaine ».

(Cass. civ. 1re, 3 novembre 2016, pourvois n°15-24.407 et 15-25.200)

La Cour de cassation précise ainsi qu’il revient au défendeur d’établir sa bonne foi et de rapporter la preuve de la rencontre fortuite ou de l’existence de réminiscences issues d’une source d’inspiration commune, ce qui n’est pas toujours chose aisée (A. Fiévée, « Juridique – Contrefaçon d’une chanson : quel est l’argument clé en défense ? », Juris art etc. 2017, n°42, p.46).

Plagiat, contrefaçon, inspiration et coïncidence en matière musicale : ce qu’il faut retenir

En conclusion, on peut relever que le moyen de défense de la rencontre fortuite est souvent invoqué de part et d’autre de l’Atlantique – mais pas toujours retenu et difficile à démontrer dès lors que l’œuvre antérieure a eu une certaine diffusion.

S’agissant de l’appréciation des similitudes, il existe des débats sur le degré de similitude exigé, en particulier aux États-Unis. En France, en principe, lorsqu’il y a reprise même partielle d’éléments originaux (rythme, ligne mélodique, etc.), la contrefaçon doit être retenue, en vertu de l’article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle. En effet, ce texte sanctionne non seulement la reproduction, mais également l’adaptation et la transformation d’une œuvre antérieure.

On peut enfin constater que les sommes allouées par les juridictions américaines dans les affaires précitées sont sans commune mesure avec celles obtenues par les demandeurs devant les juridictions françaises. Cela peut s’expliquer par le succès des œuvres contrefaisantes concernées dans les affaires américaines, tant sur le marché américain qu’au niveau mondial, et donc par une différence d’assiettes permettant la réparation des préjudices.

Les avocats du cabinet Arénaire interviennent dans toutes les matières du droit de la propriété intellectuelle, notamment en droit d’auteur. Pour en savoir plus, contactez-nous.