14 février 2024

Certains éléments du design du Rubik’s Cube jugés protégeables par le droit d’auteur aux Pays-Bas

Le design du Rubik’s Cube est protégeable par le droit d’auteur aux Pays-Bas. En revanche, la contrefaçon est exclue dès lors que les caractéristiques originales ne sont pas reprises. C’est ce qu’a jugé la Cour d’appel d’Arnhem-Leeuwarden le 12 septembre 2023. Après avoir écarté la protection par le droit d’auteur de la forme tridimensionnelle du Rubik’s Cube et du concept de jeu, les juges ont considéré que certains aspects du design du produit étaient originaux. Explications :

Le design du fameux Rubik’s cube est-il protégeable par le droit d’auteur ?

Les juridictions françaises avaient répondu il y a longtemps par l’affirmative, avant de juger le contraire :

En 2006, la Cour d’appel de Paris avait jugé que :

« l’apparence du Rubik’s cube résulte indéniablement d’un choix arbitraire, en particulier des couleurs et du nombre des éléments mobiles ; qu’elle est le reflet de la personnalité de son auteur ; que le Rubik’s cube est assurément original et bénéficie, en tant qu’œuvre de l’esprit, de la protection par le droit d’auteur ».

(CA Paris, 4e ch. sect. B, 7 avr. 2006, RG n° 0420906 et 04/13305)

Puis, en 2012, le Tribunal de grande instance de Paris jugeait au contraire que : 

« le choix d’associer une forme cubique à 6 couleurs très répandues ne démontre en rien l’empreinte de la personnalité de l’auteur et ne saurait conférer au Rubik’s cube une originalité le rendant protégeable au titre du droit d’auteur ».

(TGI Paris, 6 juillet 2012, 3e ch., 3e sect., RG n° 11/00091)

Sur le terrain des marques, dans un arrêt de 2016, la CJUE a refusé la protection du Rubik’s Cube à titre de marque tridimensionnelle déposée en noir et blanc. Elle avait considéré que la forme de l’objet avait un caractère exclusivement fonctionnel.

propriété intellectuelle

Sur cette affaire, lire notre article : La marque Rubik’s Cube : le mot de la fin ?

À la suite de ces jurisprudences, on pouvait s’interroger sur l’existence d’une protection résiduelle sur le fameux Rubik’s Cube. Car si la forme est purement technique, elle n’est pas plus protégeable par le droit d’auteur que par le droit des marques.

Restait alors la question des couleurs et éventuellement du design des petits cubes formant le cube complet. En particulier, le fait d’avoir choisi d’utiliser une grille noire et une combinaison de couleurs basiques constitue-t-il des choix libres et créatifs susceptibles de révéler l’empreinte de la personnalité d’un auteur ?

Les juridictions néerlandaises ont eu à se prononcer récemment sur cette question.

L’affaire Rubik’s Cube c/ NexCube

Les faits

Dans cette affaire, la société Spin Master revendiquait des droits d’auteur sur :

  • la forme tridimensionnelle ;
  • le concept de jeu ;
  • et le design (grille et couleurs) du Rubik’s cube.

Elle reprochait à la société Goliath d’avoir enfreint ses droits en commercialisant un produit dénommé « NexCube » et reprenant la même forme tridimensionnelle, le même concept de jeu, mais un design différent (sans grille et avec des nuances de couleurs différentes).

Ce type de produit est commercialisé depuis de nombreuses années et utilisé d’ailleurs dans les compétitions d’aficionados, dans la mesure où il présente un mécanisme souvent plus performant que le jeu d’origine.

Dans un arrêt du 12 septembre 2023, la Cour d’appel d’Arnhem-Leeuwarden a jugé que seuls certains aspects du design du Rubik’s Cube étaient protégeables par le droit d’auteur et que le produit litigieux ne constituait pas une contrefaçon de ces éléments originaux.

Le refus de protection par le droit d’auteur de la forme et du concept du Rubik’s Cube

De manière logique, les juges néerlandais ont refusé de reconnaître des droits d’auteur sur la forme tridimensionnelle du Rubik’s Cube.

Ils ont considéré, dans la droite ligne de la jurisprudence Brompton, que cette forme était l’expression d’une idée de figure géométrique, de sorte que la forme cubique en tant que telle était entièrement, ou au moins de manière prédominante, déterminée par des considérations techniques et fonctionnelles.

De plus, ce concept coïncide avec son expression, ce qui exclut toute expression de la personnalité d’un auteur par des choix libres et créatifs. On reconnaît ici la motivation de la Cour de justice dans l’affaire Brompton.

Cette position ne nous semble pas étonnante, étant donné que la CJUE a déjà jugé que la forme même du Rubik’s Cube était exclusivement dictée par des considérations techniques, et avait d’ailleurs fait l’objet à l’origine d’un dépôt de brevet.

Dans cette affaire, la Cour a jugé que :

« le critère de l’originalité ne saurait être rempli par les composantes d’un objet qui seraient uniquement caractérisées par leur fonction technique, puisqu’il découle notamment de l’article 2 du traité de l’OMPI sur le droit d’auteur que la protection au titre du droit d’auteur ne s’étend pas aux idées. Protéger ces dernières par le droit d’auteur reviendrait, en effet, à offrir la possibilité de monopoliser les idées, au détriment, notamment, du progrès technique et du développement industriel (voir, en ce sens, arrêt du 2 mai 2012, SAS Institute, C-406/10, EU:C:2012:259, points 33 et 40). Or, lorsque l’expression desdites composantes est dictée par leur fonction technique, les différentes manières de mettre en œuvre une idée sont si limitées que l’idée et l’expression se confondent (voir, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2010, Bezpečnostní softwarová aso-ciace, C-393/09, EU:C:2010:816, points 48 et 49) ».

La motivation est différente que celle retenue par la CJUE pour écarter la protection par le droit des marques, mais la solution est similaire, la logique sous-jacente étant identique : les formes exclusivement fonctionnelles sont exclues de la protection par le droit des marques, mais aussi, bien évidemment, par le droit d’auteur.

La Cour d’appel a également jugé, de manière tout aussi logique, que le concept du jeu n’était pas protégeable par le droit d’auteur. Ce concept de jeu est exprimé par le jeu Rubik’s Cube en six couleurs et coïncide totalement avec lui.

La protection par le droit d’auteur accordée pour certains éléments du design du Rubik’s Cube

Les juges néerlandais ont en revanche accordé la protection par le droit d’auteur sur certains aspects du design du Rubik’s Cube.

La Cour d’appel a considéré que :

  • la largeur ;
  • la couleur ;
  • l’épaisseur de la grille ;
  • et le choix des couleurs rouge, verte, jaune, bleue, blanche et orange du Rubik’s cube ;

lui confèrent une originalité, le rendant protégeable par le droit d’auteur. Les juges d’Arnhem-Leeuwarden s’étaient déjà prononcés en ce sens dans une décision de 2021.

La contrefaçon écartée faute de reprise des éléments originaux du Rubik’s Cube

Sur le terrain de la contrefaçon, la Cour d’appel a jugé que l’impression d’ensemble du Rubik’s Cube et du NexCube n’était pas suffisamment similaire.

Elle relève en effet :

  • l’absence de reprise de la grille noire caractéristique du Rubik’s cube ;
  • l’utilisation de nuances de couleurs différentes ;
  • et l’aspect arrondi des bords des petits cubes situés au centre de chaque face du NexCube.

La société Spin Master est donc déboutée de ses demandes.

La position des juges néerlandais nous paraît assez équilibrée, car elle confère une protection résiduelle sur le Rubik’s Cube, tout en permettant le jeu de la concurrence.


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