2 décembre 2016

La marque « Rubik’s Cube » : le mot de la fin ?

Le 10 novembre 2016, après 10 ans de procédure, la CJUE a jugé que la marque tridimensionnelle européenne n°162784 déposée par la société SEVEN TOWN pour protéger le fameux « Rubik’s Cube » ne constitue pas une marque valable (CJUE, 10 novembre 2016, C‑30/15 P, Simba Toys GmbH & Co. KG, EUIPO et Seven Towns Ltd).

C’est en 2006 que l’affaire avait commencé, lorsque le fabricant de jouets allemand Simba Toys avait demandé à l’EUIPO d’annuler la marque tridimensionnelle de SEVEN TOWNS au motif notamment qu’elle correspondait à une solution technique consistant dans sa capacité de rotation, une telle solution ne pouvant être protégée qu’au titre du brevet et non en tant que marque.

L’EUIPO, puis le TPIUE avaient rejeté cette demande, ce dernier ayant notamment estimé que les caractéristiques essentielles de la marque ne répondaient pas exclusivement à la fonction technique du produit.

Suivant les conclusions de l’Avocat général Maciej SZPUNA, la Cour annule la décision du TPIUE, rappelant que le droit des marques ne doit pas aboutir « à conférer à une entreprise un monopole sur des solutions techniques ou des caractéristiques utilitaires d’un produit » (pt 39 ; cf. déjà également en ce sens : CJUE, 14 septembre 2010, C‑48/09 P, Lego Juris/OHMI, pt 43).

Au vu de ce principe, la Cour considère que le TPIUE a commis une erreur de droit en procédant à une analyse abstraite du signe déposé et non à une analyse concrète : « afin d’analyser la fonctionnalité d’un signe au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n° 40/94, lequel ne concerne que les signes constitués par la forme du produit concret, les caractéristiques essentielles d’une forme doivent être appréciées au regard de la fonction technique du produit concret concerné » (pt 46 ; cf. également en ce sens l’arrêt « Lego Juris » susvisé). Si l’objectif de ces dispositions est d’éviter qu’un acteur du marché n’obtienne un monopole sur une solution technique ou des caractéristiques utilitaires d’un produit, il est en effet nécessaire d’apprécier, in concreto, ce que le titulaire de la marque souhaite en réalité monopoliser.

La Cour conclut en l’espèce que « le Tribunal a procédé à une interprétation trop restrictive des critères d’appréciation de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n° 40/94, en ce qu’il a considéré, notamment aux points 57 à 59 de l’arrêt attaqué, que, pour examiner la fonctionnalité des caractéristiques essentielles du signe concerné, notamment la structure en grille figurant sur chacune des faces du cube, il y avait lieu de partir de la forme en cause, telle que représentée graphiquement, sans qu’il soit nécessaire de prendre en considération des éléments supplémentaires qu’un observateur objectif ne serait pas en mesure de « saisir précisément » sur la base des représentations graphiques de la marque contestée, tels que la capacité de rotation d’éléments individuels d’un puzzle à trois dimensions de type « Rubik’s Cube » (pt 51).

La Cour annule en conséquence l’arrêt du TPIUE et la décision de l’EUIPO qui validaient l’enregistrement de la marque tridimensionnelle n°162784 de la société SEVEN TOWN.

Si cette décision rendue au niveau européen a déjà fait couler beaucoup d’encre, il ne s’agit cependant pas de la première décision refusant de protéger ce signe à titre de marque.

Certaines juridictions françaises avaient en effet déjà estimé que le signe susvisé ne peut être protégé à titre de marque, notamment dans une affaire dans laquelle un importateur français, dont nous défendions les intérêts. Ce dernier était accusé par les douanes françaises d’avoir commercialisé des jeux contrefaisant la marque française n° 3580774 de la société SEVEN TOWN (qui constitue le pendant français de la marque européenne susvisée) :

L’Administration des douanes réclamait ainsi le paiement d’une amende de 73 066€ (OUEST FRANCE, 2/10/2013).

Le 10 mai 2013, le Tribunal correctionnel d’Angers avait rejeté ces demandes, considérant, pour la première fois à notre connaissance en France, que la marque tridimensionnelle de SEVEN TOWNS ne pouvait constituer une marque valable, au motif notamment que sa forme était « attribuable uniquement au résultat technique ou utilitaire d’un casse-tête » (cf. notamment sur cette décision : C. LE GOFFIC, Le Rubik’s Cube, un casse-tête hongrois, Prop. Indus. n°12, déc. 2013, étude 19).

Le 9 octobre 2014, la Cour d’appel d’Angers avait confirmé cette décision, en jugeant que les caractéristiques du signe tridimensionnel, constitué de vingt-sept petits cubes formant un cube à six faces de couleurs différentes et composées de neuf petits cubes chacune, sont attribuables uniquement au résultat technique ou utilitaire d’un casse-tête.

Cette dernière décision a fait l’objet d’une cassation le 23 mars 2016, à la suite du jugement rendu, dans l’affaire SIMBA TOYS, par le Tribunal de première instance de l’Union Européenne, le 25 novembre 2014, qui reconnaissait la validité de la marque européenne déposée par SEVEN TOWN (décision qui vient aujourd’hui d’être annulée par la CJUE). L’affaire a été renvoyée devant la Cour d’appel de Paris qui devra statuer cette fois au regard des termes de l’arrêt rendu par la CJUE du 10 novembre 2016 (OUEST FRANCE, 2/04/2016).

Parallèlement, le Tribunal correctionnel de Paris a également jugé, dans une autre affaire, que la marque tridimensionnelle française n°3580774 de la société SEVEN TOWNS n’était pas un signe valable dans la mesure où celui-ci correspond à une forme imposée par la nature et la fonction d’un objet constituant un puzzle en trois dimensions (TGI Paris, 7 mai 2015). Cette décision est toutefois frappée d’appel.

Le Rubik’s cube n’a donc pas fini de faire couler de l’encre…