Le Legal Design : Qu’est-ce que c’est ? À quoi ça sert ?
Depuis un certain temps, on ne cesse d’entendre parler de « Legal design ». Mais au fait, c’est quoi le Legal design ?! Une nouvelle expression marketing à la mode ? Une manière de faire du droit de manière jolie ? Mais alors, cela ne servirait pas à grand-chose. Ou est-ce une manière de rendre le droit plus accessible ? Mais alors, cela ne serait pas vraiment nouveau, car les juristes s’évertuent depuis bien longtemps déjà à rendre le droit accessible. Depuis les années 50, on parle de « preventive law » aux USA et de « proactive law » en Europe. L’objectif est de mettre l’accent sur l’importance d’anticiper les risques, ce qui ne peut se faire que par une bonne compréhension du droit par les acteurs concernés [1]. Alors, qu’est-ce qui justifie l’engouement actuel pour le Legal design ? La réponse est que l’ambition du Legal design est beaucoup plus vaste que ce que l’on peut penser de prime abord : il s’agit d’appliquer les méthodes des designers au droit. Notre cabinet d’avocats a organisé une conférence sur le sujet. Nous partageons ici les résultats de réflexions et analyses, pour tout comprendre sur le Legal design :
Mais d’abord : qu’est-ce que le design ?
Pour comprendre ce que le Legal design signifie et implique, revenons déjà à la notion de design, souvent comprise de manière réductrice en France.
La définition du design par les designers
Dans une interview donnée à l’Office national de télévision française, le célèbre designer français Roger Tallon expliquait déjà en 1971 que :
« il y a une grande confusion en ce moment sur la terminologie et le problème du design. C’est qu’on utilise abusivement ce mot et qu’on confond souvent le design, c’est-à-dire l’acte de concevoir, l’action, la conception, avec le marché, les produits qui en résultent ».
Pour ceux qui veulent revoir cette interview un peu datée par son style, mais néanmoins instructive, voici le lien pour y accéder, cela vaut le détour : https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/caf94055711/le-design!
À la même époque, Charles Eames, qui est sans doute l’un des plus grands designers du XXe siècle, expliquait quant à lui dans une fameuse interview donnée au Musée des Arts Décoratifs en 1972 ce qu’il faut entendre par design :
Madame L’Amic: “What is your definition of ‘Design,’ Monsieur Eames?”
C. Eames: “One could describe Design as a plan for arranging elements to accomplish a particular purpose”
Madame L’Amic: “Is it a method of general expression?”
C. Eames: “No. It is a method of action”.
Là encore, pour ceux intéressés par l’histoire du design, vous pouvez retrouver cette interview ici, c’est passionnant : https://medium.com/meaningful-stories/6-films-formidables-qui-racontent-le-design-947746a86b9f /.
Ainsi, contrairement à une idée bien ancrée en France, le design ne se limite pas simplement aux objets qui sont le résultat d’un travail de designer, mais correspond à une méthode d’action pour arranger des éléments et accomplir un but particulier.
Le design : une méthode d’action
Qu’est-ce qui caractérise cette méthode ? Qu’est-ce qui fait que l’on est designer ou pas ? Brièvement résumée, la méthode des designers se caractérise par trois éléments :
- en premier lieu, elle est centrée sur l’humain, c’est-à-dire qu’avant même de concevoir un nouveau produit ou service, on va d’abord s’interroger sur les besoins de l’utilisateur (alors que bien souvent, on a tendance à faire le contraire) ;
- en deuxième lieu, les designers ont une approche problème-solution globale : l’objectif est de prendre en compte les contraintes et de trouver une solution innovante pour les surmonter, avec une vision transversale et pluridisciplinaire ;
- en dernier lieu, les designers visent à créer des produits et services qui soient désirables, réalisables et viables, car sinon cela ne sert à rien.
Pour ceux qui souhaitent creuser un peu la question, cf. par exemple les explications très claires de David JF Gross : https://medium.com/legal-mindset/what-on-earth-is-design-854a3d396348.
Le design : un état d’esprit
Depuis les années 90, on parle de plus en plus de « design thinking » pour souligner que le design, c’est un état d’esprit !
Le designer David Kelley affirme à cet égard que le principe essentiel du « design thinking » (expression qu’il vaut peut-être mieux renoncer à traduire tant elle est riche de sens) est d’avoir de l’empathie pour les gens pour lesquels on essaye de faire designer quelque chose :
“The main tenent of design thinking is empathy for the people you’re trying to design for. ”
Barry Katz, professeur à l’école de design de Stanford, estime que toute personne qui veut rendre les conditions d’existence plus désirables est un designer :
“Everyone is a designer who changes existing conditions into desirable ones.”
Le Legal design : appliquer les méthodes du design au droit
Si l’on comprend le design dans son acceptation la plus large, comme méthode de conception, on comprend aisément que cela peut s’appliquer à tout ou presque : les produits bien sûr, le graphisme évidemment, mais aussi les services.
Le droit : un domaine investi tardivement par le design
Et si on applique les méthodes des designers aux services, pourquoi ne pas appliquer le design au droit ? Expliqué de la sorte, on se demande franchement pourquoi personne n’y avait pensé avant !
On peut imaginer aisément plusieurs raisons socio-économiques à cela, le droit étant un monde relativement cloisonné par rapport à d’autres secteurs. Pourtant, cela n’est plus le cas, les services rendus dans ce domaine étant désormais clairement perçus comme des services comme les autres, avec bien sûr quelques spécificités, mais comme des services quand même.
C’est ainsi que le droit a été – sans doute – l’un des derniers bastions à avoir été investi récemment par les méthodes du design, qui potentiellement s’appliquent à tout projet.
Aux États-Unis, le professeur Margaret Hagan a créé le Legal Design Lab à l’Université de Standford, il y a environ une dizaine d’années, avec des projets aussi variés que ce que recouvre la notion de design.
En Europe, de nombreux professeurs de droit, comme Helena Haapio (professeur à l’Université de Vasa en Finlande) ou Michael Doherty (professeur à l’Université de Lancaster), se sont aussi intéressés à cette question et une littérature scientifique se développe à grande vitesse sur le sujet [2]. Plusieurs professeurs ont ainsi créé la « Legal Design Alliance », organisation qui a pour but de partager les avancées scientifiques dans le domaine. En France, il semble que le sujet ait été parfois réduit à l’application d’effets graphiques dans les présentations juridiques pour les rendre plus attractives.
De nombreux prestataires ont ainsi investi sur le sujet, avec bien sûr des visées commerciales. Cela n’a rien de critiquable en soi, mais le sujet est bien plus vaste et l’ambition du Legal design bien plus noble. Car le Legal design englobe à la fois la manière d’expliquer le droit, mais aussi de rédiger les contrats, et même les lois pour qu’elles soient plus efficaces, plus utiles et plus justes.
À cet égard, conformément aux méthodes des designers, l’approche est volontairement transversale et s’appuie sur les nouvelles technologies et parfois sur le concours des graphistes.
Les concepts du design peuvent-ils réellement s’appliquer au droit ?
On voit bien sûr naître immédiatement les obstacles :
- Comment expliquer des situations juridiques complexes à des personnes qui ne sont pas juristes et qui ne veulent pas entendre parler de droit ?!
- Comment se centrer sur les besoins de l’utilisateur, alors que l’utilisateur doit justement faire l’effort de respecter le droit ?!
Le Legal design ne résoudra évidemment pas tout, mais les méthodes qu’il applique renouvellent formidablement la manière de penser et de faire le droit.
Les juristes d’entreprise, qui sont confrontés directement à la mutation des entreprises et à une gestion parfois surhumaine des problématiques, l’ont bien compris. Plusieurs d’entre eux ont ainsi investi le sujet, pour mieux faire appliquer le droit, mieux le faire comprendre dans la pratique quotidienne des entreprises – tâche ô combien immense !
Le LINC (le laboratoire d’innovation numérique de la CNIL) s’est également saisi à juste titre du sujet.
Legal design : quelles applications en matière de propriété intellectuelle ?
Elles sont multiples et potentiellement infinies. En guise de conclusion, évoquons un début de liste :
- mieux gérer les droits au sein de l’entreprise (i) en expliquant des informations complexes de manière plus accessible et (ii) en mettant en place des processus plus engageants ;
- créer des contrats mieux compris, et donc plus attractifs !
Arénaire Avocats se tient informé de toutes les évolutions du droit, pour une gestion optimale des dossiers, à la pointe des innovations. C’est pourquoi nous avons organisé une conférence sur le thème du Legal design, le 10 mai 2022.
Nous avons eu la chance d’aborder toutes ces questions avec Estelle Blond, Juriste à la Direction Juridique Corporate / Propriété intellectuelle & Communication d’EDF et Julie Mathys, Juriste à la Direction Juridique Internationale d’EDF, ainsi que Louis Charron, Designer au sein d’EDF, qui ont déjà une belle expérience en matière de Legal Design.
Ce partage d’expérience extrêmement enrichissant montre que le Legal design n’est ni une lubie ni de la cosmétique juridique, mais bien un enjeu plein et entier pour tous les juristes du XXIe siècle !
Et vous, qu’en pensez-vous ?
Pour en savoir un peu plus, consultez les slides d’Arénaire.
[1] cf. sur ce point : Helena Haaapio, Thomas D Barton, Marcelo Corrales Compagnucci, Legal design for the common good: proactive legal care by design, in Legal design, Elgar, p. 56.
[2] voir notamment l’ouvrage de Marcelo Corrales, Helena Haaapio, Margaret Hagan et Michael Doherty, Legal design, Elgar, 2021, et les nombreuses contributions qu’il contient sur le sujet.