Affaire RUBIK’S CUBE : la cour d’appel de Paris rappelle que l’action douanière est indépendante de l’action publique
Par arrêt du 3 octobre 2017, la cour d’appel de Paris a jugé que l’appel du ministère public sur le délit douanier était irrecevable dès lors que l’action douanière avait été initiée par la seule citation de l’administration des douanes exerçant l’action fiscale.
La cour d’appel a par ailleurs constaté le désistement d’appel de l’administration des douanes, rendant ainsi la relaxe du prévenu irrévocable.
* * *
Dans cette affaire, l’administration des douanes avait engagé, par citation directe, une action douanière devant le tribunal correctionnel d’Angers à l’encontre d’un importateur français accusé d’avoir commercialisé des jeux contrefaisant la marque française n°3580774 déposée par la société SEVEN TOWN pour protéger le fameux « Rubik’s Cube » (OUEST FRANCE, 2/10/2013) :
Le tribunal correctionnel d’Angers puis la cour d’appel d’Angers avaient tous deux successivement relaxé l’importateur au motif que la marque en cause était entachée de nullité de sorte que le délit douanier ne pouvait être constitué (cf. notre article du 2 décembre 2016).
La Cour de cassation avait cassé l’arrêt de relaxe le 23 mars 2016 et renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Paris (Cass. crim., 23 mars 2016, n°14-87494).
Quelques mois plus tard et avant l’examen de l’affaire par la cour d’appel de renvoi, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que la marque tridimensionnelle européenne n°162784 déposée par la société SEVEN TOWN pour protéger le fameux « Rubik’s Cube » ne constitue pas une marque valable (CJUE, 10 novembre 2016, C‑30/15 P, Simba Toys GmbH & Co. KG, EUIPO et Seven Towns Ltd) :
Cette marque européenne étant quasi-identique ou, du moins, très similaire à la marque française invoquée par les Douanes dans ce dossier, l’arrêt de la CJUE venait confirmer l’argumentation du prévenu sur l’absence de validité du titre.
C’est dans ces conditions que l’administration des douanes s’est désistée de son action fiscale et de son appel.
Outre la question de fond relative à l’incidence sur la constitution du délit douanier de la nullité d’une marque européenne très similaire à la marque française invoquée par l’administration des douanes, se posait la question de la recevabilité de l’appel du ministère public.
La cour d’appel d’Angers avait jugé que l’appel du ministère public était recevable au motif que :
« Il faut cependant rappeler que l’infraction poursuivie est punie notamment, par l’article 414 du code des Douanes, d’une peine d’emprisonnement de trois ans, et que si le ministère public ne peut pas être à l’initiative des poursuites, il doit intervenir comme partie jointe pour pouvoir requérir l’application de cette peine, ce que l’administration des Douanes n’a pas pouvoir de faire. C’est d’ailleurs bien en sa qualité de partie jointe qu’il est mentionné dans le jugement. Cette qualité de partie lui ouvre le droit de faire appel, demeurant toujours seul compétent pour requérir, le cas échéant, la peine privative de liberté.
L’appel du ministère public, également fait dans les formes et délais de la loi, doit donc être déclaré recevable ».
Cette décision était critiquable dès lors que dans cette affaire, l’action fiscale avait été engagée par l’administration des douanes seule.
En effet, les actions fiscales et publiques sont indépendantes.
C’est ainsi que, dans un arrêt du 30 mai 1994 publié au bulletin, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a cassé l’arrêt d’une cour d’appel qui avait prononcé une peine d’emprisonnement au titre d’un délit douanier alors qu’elle n’était saisie que de l’action fiscale sur citation des douanes :
« Mais attendu qu’en prononçant une peine d’emprisonnement tant pour le délit de droit commun que pour l’infraction douanière, alors qu’elle n’était saisie que d’une action fiscale et qu’aucune disposition légale n’autorisait l’administration des Douanes à exercer l’action de l’Etat en réparation du préjudice causé par le délit de détournement d’objet saisi, la cour d’appel a méconnu les textes susvisés et outrepassé sa saisine ».
De même, dans un arrêt du 1er octobre 1998 publié au Bulletin, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé que le pourvoi en cassation formé par le ministère public était irrecevable dès lors que seule l’action fiscale avait été mise en mouvement par citation des douanes :
« Attendu qu’il appert de l’arrêt attaqué et des pièces de procédure que seule l’action visée à l’article 343-2 du Code des douanes et tendant au prononcé des sanctions fiscales a été engagée devant la juridiction correctionnelle sur citation directe de l’Administration ; qu’il en résulte que le ministère public était sans qualité pour interjeter appel du jugement et qu’il est, de la même manière, sans qualité pour se pourvoir contre la décision attaquée ».
Dans l’affaire Rubik’s Cube, bien que l’appel du ministère public ait été a priori interjeté dans les délais et formes prévus par la loi, il n’en demeurait pas moins irrecevable, dès lors que l’action publique, distincte et indépendante de l’action fiscale exercée par l’administration des douanes, n’avait pas été mise en mouvement initialement.
En effet, seule l’action fiscale avait été mise en mouvement par la citation directe de l’administration des douanes.
L’action publique n’ayant pas été mise en mouvement, le ministère public n’avait donc pas qualité pour interjeter appel et aucun appel sur l’action publique n’était recevable dans ces conditions.
C’est ce qu’a rappelé la cour d’appel de Paris dans son arrêt du 3 octobre 2017, qui met un terme définitif à cette affaire.
Après cinq ans de procédure, c’est finalement la solution rendue en premier ressort par le tribunal correctionnel d’Angers en 2013 qui s’impose et relaxe l’importateur.
A notre connaissance, il s’agit de la première décision française à avoir déclaré qu’une marque tridimensionnelle reproduisant le Rubik’s Cube (marque française n°3580774) n’était pas valable car sa forme est « attribuable uniquement au résultat technique ou utilitaire d’un casse-tête ».
Au niveau européen, la première chambre de recours de l’EUIPO a suivi la décision rendue par la CJUE le 10 novembre 2016 et a annulé la marque n°162784 par décision du 19 juin 2017 (affaire R 452/2017-1).