30 novembre 2011

Actualité législative

Une nouvelle proposition de loi tendant à renforcer la lutte contre la contrefaçon a été déposée au Sénat le 17 mai 2011 par Monsieur Laurent BETEILLE, aujourd’hui ancien sénateur[1].

Cette proposition, amendée par la Commission des lois sénatoriale[2], aborde essentiellement quatre grandes thématiques : la spécialisation des tribunaux, le calcul et la détermination des dommages et intérêts, le droit d’information et le droit de la preuve et, enfin, le renforcement significatif du pouvoir de la douane.

Concernant plus spécifiquement le calcul et la détermination des dommages et intérêts, la Commission sénatoriale a émis la volonté de faire en sorte que « la contrefaçon ne soit pas une faute lucrative »[3].

Le nouveau texte prévoirait ainsi, tant en matière de droit d’auteur, que de dessins et modèles, de brevets, de COV, de marque ou encore d’IG, d’évaluer l’indemnisation due à la victime des actes de contrefaçon de la manière suivante[4] :

« Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :

– les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;

– le préjudice moral causé à cette dernière ;

– les bénéfices réalisés par le contrefacteur et, le cas échéant, les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.

Si la juridiction estime que les sommes qui en découlent ne réparent pas l’intégralité du préjudice subi par la partie lésée, elle ordonne au profit de cette dernière la confiscation de tout ou partie des recettes procurées par la contrefaçon ».

Selon le rapporteur de la Commission sénatoriale, Monsieur Richard YUNG, « Le but est, non de prévoir des dommages et intérêts punitifs, mais d’affecter le fruit de l’indu au dédommagement de la victime » [5].

Malgré cette volonté affirmée de ne pas introduire en droit français des dommages et intérêts punitifs, il convient de relever notamment que, selon ce même rapporteur, « Par « recettes », il faut entendre au sens large le chiffre d’affaires » [6].

Si l’on suit ce raisonnement, les dommages et intérêts alloués pourraient être supérieurs au préjudice subi par le titulaire des droits, voire même supérieurs aux bénéfices réalisés par le contrefacteur.

Or, si l’on n’est plus dans la réparation du préjudice ni dans la privation des bénéfices, n’entre-t-on pas dans la sphère des dommages et intérêts punitifs[7] ?

Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité que la proposition de loi ne précise pas (pas plus que les textes actuels) ce qu’il faut entendre par « prendre en considération » : la marge d’interprétation est donc, pour le moins, importante.

Ainsi, loin d’ajouter à la clarté et à la prévisibilité des décisions, la proposition de loi, si elle était adoptée en l’état, risquerait tout au plus d’ajouter à la confusion qui règne déjà en matière d’évaluation des préjudices de contrefaçon.

Selon nous, mieux vaudrait que le législateur opte ouvertement pour les dommages et intérêts dits « multiples », tout en encadrant strictement l’allocation de tels dommages et intérêts, ce qui permettrait d’éviter à la fois que les fautes puissent devenir lucratives mais aussi que de véritables peines privées soient prononcées sans garde-fous.

 


[1] Proposition de loi n°525
[2] Texte de la Commission des lois n°755, tel qu’enregistré à la Présidence du Sénat le 12 juillet 2011
[3] Compte rendu de la Commission des lois du 12 juillet 2011 « Renforcement de la lutte contre la contrefaçon – Examen du rapport et du texte de la commission »
[4] Cf note 2
[5] Cf note 3
[6] Cf note 3
[7] Cf. pour une étude complète sur la nature des dommages et intérêts en matières de contrefaçon, J. Edelman, Gain-based damages, Hart publishing